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13 juin 2009 6 13 /06 /juin /2009 11:55

Carte blanche

 

à Agnès Heidmann

 

 

Quand elle ne chante pas, elle lit.

Agnès Heidmann, soprano éclectique,

monte des spectacles musicaux où

Claudel côtoie Offenbach. Un mélange

des genres naturel pour cette lectrice

omnivore qui passe de Racine à Tony

Hillerman ou de Dickens à Valéry avec le

même appétit. Portrait d’une amoureuse

des livres à la curiosité insatiable.


Pour vous, la lecture a commencé très tôt ?

Oui, à quatre ans, je lisais couramment. À cinq ans,

ma mère m’a surprise plongée dans les Mémoires de

Casanova ! Dès neuf ans, je dévorais la collection Rouge

et Or, Alexandre Dumas (j’ai lu et relu Les Trois

Mousquetaires), tous les Arsène Lupin, Jules Verne.

Je rêvais à partir de personnages que je trouvais

fabuleux, comme celui de l’ingénieur Cyrus Smith

dans L’Ile mystérieuse.

Mes parents me laissaient lire ce que je voulais, je piochais

à volonté dans leur bibliothèque. Et je lisais tout le temps.

Il y a beaucoup d’auteurs que j’ai découverts très tôt.

Vers dix ou douze ans, mon père m’a fait lire Lovecraft,

qu’il adorait. Entre treize et quatorze ans, j’ai eu une

véritable passion pour Pascal. Je me baladais en permanence

avec Les Pensées. On croyait que je frimais, mais non :

j’ai été élevée dans la religion protestante, avec un pasteur

très intello et passionnant, ce qui m’a incitée à la réflexion.

J’étais certainement en recherche de quelque chose,

à ce moment-là. Bien sûr, je ne comprenais pas tout,

j’en prenais ce que je pouvais. Et entre deux pensées,

je me replongeais dans Le Comte de Monte-Cristo, pour

me refaire une santé !

Vous pourriez vous passer de lire ?

Non. Je lis en moyenne trois livres par semaine. Quand

je n’en ai pas en main, j’ai une espèce de panique.

C’est une véritable addiction. Une addiction qui peut

empêcher de vivre parce qu’elle replie sur soi. Mais

le livre rassure, il aide à supporter les drames de la vie.

Mon père est mort une nuit, quand j’avais vingt ans.

Quand je me suis recouchée, j’ai lu. J’en avais besoin

pour arriver à dormir. C’était une sorte de refuge.

J’ai passé mon bac en 1966. Le lendemain des résultats,

je suis partie pour un séjour d’un an aux États-Unis.

Je suis tombée dans une famille de chrétiens intégristes,

de ceux que l’on appelle aujourd’hui les « born again ».

La lecture y était interdite, elle était considérée

comme satanique. Je n’avais pas le droit de lire au lit !

Je ne suis finalement pas restée toute l’année…

Avez-vous des auteurs-culte ?

Pas vraiment, mais il y en a vers qui je reviens régulièrement.

Stephan Zweig et Thomas Bernhard font partie de ces

« phares ». Je pourrais citer également Beckett, Cohen,

Duras, Yourcenar… Ou encore Nicolas Bouvier, pour

la poésie et le sens du voyage, du départ pour l’inconnu.

Et je nourris une passion pour Claudel. Pas pour ses idées,

pour sa langue, son style foisonnant et son univers,

avec ces personnages pris dans leurs contradictions.

Dans mes spectacles, je lis des textes de lui et ça marche

très bien. Je suis très sensible au style, j’aime la belle

langue, mais je suis très diverse dans mes goûts : il y a

des moment où j’ai envie de lire Claudel et d’autres

où je vais me plonger dans quelques haïkus ou dans Valéry,

pour sa concision et son extrême clarté.

Vous relisez ?

Beaucoup. Je tombe sur un roman au hasard de ma

bibliothèque et je le relis. Ce fut le cas récemment avec

David Copperfield et je me suis aperçue que je percevais le
roman de Dickens sous un angle nouveau. Selon les âges de la vie,
les textes sont ressentis et compris diff
éremment.
Ce que je relis tout
le temps, ce sont Les Misérables. Nostalgie d’enfance :

tout ce qui concerne Cosette me fascinait quand j’étais

petite. Et quand j’ai envie d’histoires plus sentimentales,

j’ouvre Jane Eyre de Charlotte Brontë ou Orgueil et

Préjugés de Jane Austen… Ce qui ne m’empêche pas

de faire encore et toujours des découvertes. Je n’ai jamais

été passionnée par la pêche à la baleine. Mais la lecture

de Moby Dick, à 38 ans, m’a bouleversée : un texte

immense sur le plan littéraire, un monde immense,

impossible à lâcher, et puis cette jubilation d’avoir laissé

passer tant de temps avant de le lire. Je me suis dit :

« C’est formidable, il doit rester encore tellement de

livres que je n’ai pas lus et qui m’entraîneront aussi

loin ! » Récemment, j’ai eu un gros coup de coeur pour

Kakfa sur le rivage du japonais Murakami, et Mal de Pierres
de Milena Agus. Je les ai beaucoup offerts.

Quel rapport à l’objet livre avez-vous ?

Le rapport au livre, pour moi, c’est physique. À mon

entrée en sixième, je me revois caressant mon manuel

de mathématiques, allongée sur le lit de ma grand-mère !

Un grand-oncle travaillait chez Gibert, à Paris, il nous

procurait beaucoup de livres à prix réduit à chaque

rentrée des classes : c’était une fête, tous ces livres neufs,

avec leurs odeurs. Il y en a que je n’arrive pas à aborder

à cause de leur aspect. Autant j’ai adoré Tristes Tropiques

dans la collection Terre humaine, autant je n’aurais

pas pu le lire en poche. Ce n’est pas le même livre.

Que cherchez-vous dans la lecture ?

De la réflexion, des réponses à mes curiosités, aux questions

que je me pose. Vivre, c’est se poser des questions

et la lecture est l’un des plus puissants instruments

pour y répondre. Bien sûr, les essais philosophiques,

historiques, politiques ou autres sont là pour ça, et j’en

lis beaucoup, mais les romans aussi : Beloved, de Toni

Morrison, nous dit plus sur l’esclavage que beaucoup

d’études approfondies, tout comme Imre Kertész sur

le nazisme. Et c’est Naguib Mahfouz qui nous fait le

mieux comprendre comment les femmes sont amenées

à accepter le sort qui leur est fait, à y apporter même

leur propre contribution.

Et puis, la lecture m’apporte aussi une plongée dans

l’ailleurs. À l’occasion d’un voyage en Sardaigne, j’ai

découvert Grazia Deledda, prix Nobel de littérature

en 1926. Je n’en avais jamais entendu parler. Elle dépeint

la vie en Sardaigne au début du XXe siècle d’une façon

passionnante. Ce ne sont là que quelques exemples…

Où et comment lisez-vous ?

Partout, dans le train, dans le métro… et beaucoup la

nuit depuis que j’ai des problèmes de sommeil. Je suis

une grosse consommatrice de romans policiers. Ils me

permettent de dormir mieux, à condition toutefois

d’éviter Ellroy et de choisir plutôt Mankell… Ce que

je n’arrive pas à quitter, c’est un livre qui va me faire

réfléchir : il va me mettre le cerveau en marche, et après

c’est la catastrophe, je ne peux plus dormir. Tandis que

le polar m’emmène ailleurs. Si on coupe une femme

en quatre morceaux, je ne me sens pas directement

concernée !

Lire dans la journée me culpabilise : ça veut dire que

je ne travaille pas. Par contre, en vacances dans les Vosges,

je lis énormément. J’ai mon fauteuil et mon pommier

préféré sous lequel je m’installe quand il fait beau et

où je peux lire des journées entières sans la moindre

vergogne.


Article paru dans Publication(s)
Pour télécharger Publication(s) n°8 :

http://www.arl-haute-normandie.fr/medias/File/Publication-s-/arl8.pdf.zip

 

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commentaires

N
Bienvenue dans Salon lecture, bonne soirée
Répondre
N
<br /> Merci de votre accueil. Heureuse de partager ma passion de la littérature avec le plus grand nombre.<br /> <br /> <br />